Faux départ

Volutes

Gabriel était suivi de près pour que sa courbe de poids ne s’effondre pas, qu’il puisse rapidement récupérer ce petit mois qu’il avait préféré passer dehors, ce temps volé pour découvrir la vie plus vite, ou sûrement plus certainement pour se lover dans les bras de maman plus rapidement. Ses frères étaient au petit soin et la maison s’agençait doucement pour plus de praticité surtout, car côté déco et joli home sweet home, on était loin de mes rêves les plus fous, de ce que j’aurai voulu pour mon « chez-nous » pourtant si important puisque j’y passais beaucoup de temps. Mais il fallait faire simple et avec nos petits moyens, et puis les enfants se satisfaisaient de notre petite maison sans prétention, leurs joies se limitant à leurs moments passés ensemble, les visites de la famille et les amis d’Antoine ainsi que les heures dans le jardin à jouer avec rien… Gabriel aimait être dans mes bras, juste ça et puis passer des heures à téter, comme s’il devait récupérer deux fois plus vite, comme pour me rassurer ou tout simplement lui, s’apaiser. Il buvait à ce moment là, et il avait déjà six mois, toutes les trois heures nuit et jour. J’étais donc fatiguée, et tellement plus blessée par une vie sans mari, toujours parti, toujours pour de bonnes raisons, sûrement, mais absent bien trop souvent et pour moi tellement déstabilisant. Je cherchais toujours une explication à ses absences et aussi une façon de me déculpabiliser. Au final je réalisais que peut être je n’avais pas su dire les choses comme il fallait, ou bien écouter ou comprendre. Et puis mes obligations revenaient rythmer mes journées, m’empêchant de trop penser et donc de souffrir. Mes enfants chéris me rendaient heureuse le reste du temps, tellement ; être mère est un jeu d’enfants, une façon de s’oublier dans des moments simples et beaux, et où les regarder s’épanouir, grandir et vivre, faisait de tout mon temps avec eux un bonheur doux et joyeux, quelque chose de rare et précieux que je savourais, malgré moi, égoïstement. J’aimais voir Antoine et Maxime se chamailler et aussi entourer Gabriel et le cajoler pour qu’il cesse de pleurer. Leur complicité était grande et singulière, leur différence d’âge étant sûrement une raison à cela. Je voyais Maxime imiter Antoine, essayer de jouer avec la même adresse avec le ballon ou bien dans le bain faire encore plus de bulles de savon. J’essayais de deviner en les regardant comment chacun vivait intérieurement ce manque d’un père et mes tourments, j’aurai tant aimé pouvoir leur dire c’est terminé, demain tout sera parfait on sera juste heureux, heureux tous ensemble, longtemps… même toujours. Mais la réalité était tout autre et la naissance de Gabriel avait créé un silence pesant entre Paul et moi, comme une ombre sur quelque chose de déjà presque sans clarté, quelque chose que l’on n’a pas su définir ni accepter. Mes nuits étaient comme notre vie, ni noires ni blanches, elles étaient grises. Je les passais souvent avec Gabriel dans mes bras, il avait besoin de sa ration de lait plus qu’en journée et comme un moyen de tous les deux se rassurer. Mon téléphone toujours tout près, entre deux sonneries, quelques messages et puis plus rien, jusqu’au lendemain et même parfois bien plus longtemps. Paul était là, puis plus, mais ce n’était jamais grave, juste normal,… « Je suis charrette, j’ai des dossiers en retard et puis ne t’inquiète pas, non, surtout pas, … j’ai besoin de ce temps pour moi, et puis de décompresser,… » Bref, c’était comme ça et je devais m’en contenter, accepter que finalement c’était pas si mal, au final , on ne manquait de rien et surtout pas les enfants, non, rien, … juste un peu de sa présence et de sa voix, de ce temps passé avec moi, avec eux, de sa musique, de ses rires, des ses travers, de ses volutes de cigarettes, des journaux froissés, des séries télé, des bouquins et de tous ce qu’il pense au fond, de la politique, du réchauffement climatique ou de tout ce qu’il a pu lire dans son dernier magazine scientifique . On manquait finalement de tout lui, d’un père et d’un mari sous prétexte d’une vie bien trop remplie par un métier qui était toute sa vie et surtout de beuveries… Alors j’ai attendu encore quelques nuits, quelques cris, quelques pleurs sans être consolée et puis je suis partie. J’ai simplement attendu la goute de trop, celle qui fait déborder le vase, celle qui fait comprendre qu’après il sera trop tard. J’avais quand même encaissé un delirium tremens, qui m’avait valu un passage aux urgences le jour de la fête des mères, puis un shoot aux médocs pour qu’il réagisse ; et au final me faire une raison sur l’hôpital, c’était pourtant évident, pour régler tout ça, ce n’était vraiment pas l’endroit idéal.

Quand on aime il faut partir… l’amour parfois, peut être létal.

Dans le silence de mon cœur

un coeur ailleurs

Quand on a la vie devant soi, on ne pense pas à ce qui pourrait arriver de mal, à ce qui fait que parfois on se demande ce que les jours et les nuits nous apportent ou comment les appréhender. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, certes, mais suivant comment l’on reçoit les choses on peut être plus ou moins heureux et surtout faire en sorte que ceux qui partagent nos vies soient le moins impactés possible par nos choix. Je suis une maman de trois enfants et mon mari est alcoolique. Cette année là a fait sortir Paul du déni et accepter de se faire aider… Mais j’avais encore aussi un travail à faire sur moi-même, et le temps et l’énergie que je prenais pour ma famille et le reste ne me permettaient pas d’avancer sur moi, de guérir mes blessures et je pense qu’à ce moment de mon existence cela aurait été d’un grand secours. Mais on ne refait pas le passé. J’essayais de faire les choses au mieux, d’être une maman, une maman à la hauteur, enfin, la leur… Ni plus, ni moins, avec ses défauts, ses manquements, sa joie de vivre, ses impatiences, ses doutes, et surtout son espérance… Celle qui malgré tout permet de tenir debout, de croire au présent et en l’avenir, de croire que tout est toujours possible. Mais il y avait des jours avec et des jours sans et je découvrais mes faiblesses dans ce que je vivais de complètement personnel, ces douleurs qui brûlent à l’intérieur et qu’on ne sait pas comment interpréter. Mettre au monde mon troisième enfant avait été douloureux et émotionnellement particulièrement intense, mais ce que j’allais vivre ensuite, je ne l’avais pas envisagé et surtout je n’y étais pas préparée. Mon état physique ne m’aidait pas non plus à être assez forte pour encaisser. Aujourd’hui je me dis que les choses de la vie sont de belles façons de nous mettre à l’épreuve et qu’au final c’est un moyen d’apprendre à se connaître, à grandir et à s’aimer. Mais Gabriel lui, venait d’ouvrir les yeux sur la vie, je devais lui offrir de belles images, de beaux sentiments et quelques chose qui ressemblait à mon idéal ; c’est ce que je pensais à ce moment là, je n’avais pas beaucoup de recul sur moi-même, ni sur la vie et encore moins sur ceux qui l’animaient. J’étais encore tellement fragile, encore tellement sous l’influence familiale, sur cette image qu’il fallait à tout pris sauvegarder… Mais à quel prix… Je vivais donc plutôt au jour le jour, comme celui qui m’a vu sortir de la maternité seule avec mon petit Gabriel, seule parce que sans mon mari, sans ce soutien que j’espérais sans fin, cet homme que j’avais choisit et qui ne vivait qu’à côté de moi et à coté de lui-même rongé par ces breuvages tels les sirènes d’Ulysse, le happant un peu plus profondément dès qu’une situation trop difficile lui faisait face. J’avais particulièrement souffert de cet épisode de notre vie où je me suis vue de nouveau chercher Paul, mettre cette énergie dont j’avais besoin pour m’occuper des enfants dans cette douloureuse quête que finalement je m’infligeais. Mais pourquoi n’était-il pas là, présent, attentionné, aimant, comme un père doit l’être pour sa famille !? Pourquoi devais-je vivre seule alors que nous étions sensé tout partager !? Pourquoi ce vide abyssal entre nous, dans nos vies, en moi… !? Il avait cette fois ci disparu prenant ma carte bleue, la voiture et sans rien dire,… J’avais donc appelé mes parents pour qu’ils viennent lors de ma sortie avec Gabriel, et aussi pour qu’Antoine et Maxime puisse rentrer à la maison dans de bonnes conditions. Son escapade m’avait de nouveau fait passer des nuits blanches, effacer les rêves entre les tétées de mon petit dernier. Alors, dans le silence de mon cœur, j’essayais de trouver le réconfort nécessaire pour tenir le lendemain, de faire juste le minimum indispensable pour chacun… J’avais pu tenir un peu plus dignement cette fois-ci parce que mes parents étaient présents et ne pouvaient nier les agissements de Paul. Je ne racontais pas d’histoires, je n’avais rien déclenché, j’avais simplement encore une fois été « trop », trop mère, trop exigeante, trop sensible, trop vraie. Je n’avais pas compris son attitude le lendemain de la naissance de Gabriel, cette soirée à s’enivrer, il était passé rapidement nous voir à la maternité et l’odeur de l’alcool et son comportement m’avaient fait réagir brutalement. Je lui en voulais tellement… Je savais surtout que son état ne pouvait s’améliorer et sans surprise je n’eu plus de nouvelles dès le jour suivant et dû donc m’organiser sans lui pour mon retour à la maison. Mon père avait essayé de le joindre plusieurs fois par téléphone en vain, sauf quelques balbutiements à un moment nous disant de ne pas s’inquiéter… Seul instant où l’on est rassuré de le savoir quelque part, en état d’ébriété, mais en vie… Il reviendra, il mettra du temps, parce que malgré tout il réalise toujours, s’enclenche alors ce cercle vicieux, boire pour oublier, surtout ne plus penser… Toutes ces nuits à l’attendre devenaient comme une habitude, je m’étais confinée dans quelque chose de sécurisant malgré tout, quelque chose que je savais dompter. En fait, je savais vivre de ça, comme ça, dans cet espèce de crainte contrôlée et je ne me rendais pas vraiment compte alors, mais je commençais à avancer sur le chemin de mon devenir, j’explorais les limites de mes capacités à encaisser. J’avais durant une bonne partie de mon enfance accepté les injustices, les coups, les brimades… Et quelque part, je restais confrontée aux mêmes situations, je me rassurais dans ce monde apprivoisé au fil du temps, ce temps qui m’a vu devenir mère et qui m’ouvre les portes d’une autre existence. Je sais que cet événement brutal aura des conséquences sur notre avenir, je le sens au fond de moi, je suis empêtrée alors dans des états confus de colère, de peur, de fatigue, d’épuisement même, de rage, d’incompréhension, d’abandon, de trahison, de stress, bref, de tout un tas de sentiments ambivalents que je n’arrive pas encore à comprendre et encore moins analyser. J’ai juste dans le silence de mon cœur, quand les nuits m’envahissent jusqu’à noircir même mon âme, cette petite flamme qui brûle encore et qui maintien en moi l’espérance. Gabriel dort enfin, je viens de lui donner sa deuxième tétée de la nuit ; il est cinq heure et je me demande quand reviendra Paul. Il ne peut que revenir, il ne fallait pas m’épuiser dans un combat inutile, mais ce que je ressentais dans ces moments là et dans cette vie initiatique, je ne pouvais pas le vivre autrement, c’était moi en cet instant, cette mère qui attend, qui souffre et qui apprend… Grandir prend du temps, et déjà, de pouvoir me sentir à ma place malgré tout me permettait de relativiser. Antoine et Maxime portaient eux aussi cette blessure que je ne considérerais que plus tard, je ne pouvais pas encore dénouer les impacts sur chacun, je voulais simplement pouvoir déjà minimiser les émotions négatives et aussi me donner les forces nécessaires pour tenir, pour continuer à garder le sourire, et même rire… Paul était rentré cinq jours plus tard, le regard vide, la silhouette froissée et plein de cette odeur qui donne la nausée. Il avait trouvé cette excuse insensée d’avoir, comme tout papa qui se respecte, fêté la naissance de son fils… Je n’avais ce jour là plus les mots, j’étais fatiguée, et dans son regard lisais tellement de ce que j’aurai moi aussi voulu exprimer. Mais nous n’avons pas appris, ni lui, ni moi. Non, nous ne savons pas exprimer nos émotions et encore moins nos sentiments. Notre expérience de vie le fera pour nous, et dans le silence de mon cœur à ce moment précis, je retournais sans vraiment savoir quoi trouver… Il s’y trouvait juste un peu de lumière et j’en avais besoin. Je ne devinais qu’une lueur mais c’était mon unique refuge, celui où je me reposais, où il n’y avait que moi et mes tourments, et aussi ce je ne sais quoi de réconfortant, cette chance d’avoir au fond ce qu’il faut pour un jour raviver cette flamme encore bien trop pâle. Un jour viendra… Il faut du temps, mais aussi de la force et du courage et tout ça je le puisais auprès de mes enfants. Continuer à avancer permet de ne pas tomber, j’avais donc encore moins de temps pour réfléchir, et c’était mieux comme ça, même si à ce moment là je ne faisais que courir sans me rendre compte que j’allais trop vite et pas dans la bonne direction. L’important était de tenir, peut importe où j’allais, mais toujours à perdre haleine, un autre moyen de se sentir vivant et de montrer qu’on existe, courir cela évite aussi de voir. Non, je ne savais pas comment exprimer mes émotions et encore moins mes sentiments, je savais juste que j’avais en moi assez d’amour pour porter encore beaucoup, mais plus trop longtemps car il faut aussi savoir faire des choix, même si ce ne sont pas les bons, cela permet de remettre en ordre les choses mais autrement, bref de déplacer les problèmes, … En attendant.

Un peu en avance

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Mon ventre prenait de plus en plus de place et je me sentais lourde… Je me sentais surtout fatiguée et Paul me manquait. Je ne savais pas encore ce que ce manque évoquait, il faisait simplement de moi quelqu’un d’incomplet, j’étais pourtant pleine d’une autre vie, de ce troisième enfant, comme un cadeau, un trésor de plus à choyer. Mais Paul ne voyait pas ça ainsi, il ne voulait pas penser comme je le faisais, me disant que c’était bien, que c’était une chance. Lui était inquiet, il pensait que cela serait difficile pour nous, que son job n’était pas encore assez stabilisé et que notre vie ne permettait pas de s’engager dans des dépenses supplémentaires… Bref, il désapprouvait et me faisait comprendre ses craintes dans ses absences de plus en plus fréquentes. Mes soirées à l’attendre devenaient habituelles, et je savais au fond de moi que notre petit garçon, tout lové, là dans mon ventre tendu, ressentait toute ma tristesse et parfois ma colère, comme le ressentaient avant lui, Antoine et Maxime. En les voyant heureux de savoir qu’un petit frère allait compléter notre famille, mon sourire revenait et je me disais alors que pour eux je devais tenir bon, et aussi pour Paul, pour qu’il comprenne que tout ça allait nous faire avancer plus vite plus loin, et surtout plus grand. Nous avons donc dessiné d’autres projets, d’autres envies et inventé des possibles, comme toujours, il faut avancer, sinon on tombe. Finalement la décision fut prise de déménager dans plus grand, dans une maison, avec un petit jardin, bref, avec un peu plus d’espace pour accueillir au mieux notre petit Gabriel. Me revoici donc dans les cartons, une vraie passion, je me demande même parfois en les empilant dans l’entrée si ce n’est pas un peu maladif… Et puis ça y est, on s’installe dans la maison, on défait les cartons dans cet endroit tant attendu, une petite maison dans un lotissement fonctionnel, proche de tous commerces, des transports, des écoles,… Nous avons un petit carré de jardin derrière la maison et un plus petit devant, un grand séjour-salle à manger, une petite cuisine et à l’étage 3 chambres et une salle de bain. C’est juste comme il faut, juste bien pour notre petit troisième bonheur. Gabriel devrait arriver début janvier, cela me laisse le temps d’aménager notre « chez nous », pour y être bien et surtout que Paul s’y sente chez lui, pour avoir envie de rentrer, de rester, que l’on soit le plus souvent tous ensemble… Malgré mes doutes et ma fatigue, je croyais encore à demain et surtout je savais que tout était possible, mais il restait encore les ombres de mon passé à démêler ainsi que le présent de mon mari à réparer au fil des jours, ou plutôt des nuits, celles où, seule, j’affrontais le temps qui l’enlevait à « nous ». Ce « nous » que j’aurai aimé voir exister ce jour où mon ventre me donnait des signes de la délivrance éminente, de la venue au monde de notre troisième enfant…
Ce jour là j’avais rejoint Sophie et toute la tribu chez ses parents depuis la veille. La maison sentait le début de l’hiver, les arbres du jardin avaient perdu leurs feuilles et les allées du parc en étaient jonchées ; le ciel était gris et les oiseaux volaient bas comme pour nous dire qu’il ferait bientôt froid. Nos avions emmitouflé les enfants en y pensant nous aussi, mais courir à cet âge donne toujours trop vite trop chaud, et nous ramassions, Sophie et moi en suivant leurs rires éclatants jusqu’au fond du jardin, leurs écharpes égarées dans les allées colorées de feuilles mortes.
J’avais le ventre tendu et je fatiguais un peu plus à chaque pas… C’est en retournant vers la maison que je senti quelque chose d’inhabituel.
« Sophie ! Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive mais ce n’est pas normal, j’ai l’impression d’être trempée… » Je tenais mon bas ventre et respirait profondément, Sophie arriva à ma hauteur et me pris la main, je lui serrai assez fort pour lui faire comprendre mon inquiétude puis la lâcha pour courir comme je pouvais vers la salle de bain. Sophie fit demi-tour pour rappeler les enfants et me rejoindre. Je ne pouvais plus faire grand-chose étant donné qu’un flot incessant s’échappait de moi, un liquide rosé, je commençais à penser au pire, mais il fallait que je garde mon calme, rassurer mon enfant là, tout serrer contre et en moi. « Laura !!?? » Sophie criait derrière la porte : «ça va ? » « Dis-moi !!? » Je respirais calmement pour retrouver mes esprits et savoir quoi répondre et quoi faire. Je repensais à ma nuit sans sommeil à essayer de joindre Paul, à me dire qu’il n’était pas là encore une fois et que j’avais pourtant terriblement besoin de lui, que son fils allait arriver, que je ne voulais pas être seule et que je m’inquiétais de mon état. Je savais que quelque chose n’allait pas. Nous étions le 11 décembre et le terme était prévu le 8 janvier. Il fallait que je consulte rapidement… J’ouvris la porte de la salle de bain et expliquait la situation à Sophie.
« Je viens d’avoir Paul au téléphone, me répondit elle, « nous allons l’attendre, je pense qu’il pourra t’accompagner à la maternité » Je comprenais à son ton et à ses yeux ombrageux que Paul devait avoir encore passé une nuit blanche à errer dans les bars et que son état ne devait pas être très beau à voir. J’avais deviné que je perdais doucement les eaux et que mon bébé allait naître. La fin de la matinée laissait place à un ciel plus lumineux, une longue journée d’hiver se dessinait, je pensais juste à la chance de savoir Paul en route malgré tout, il serait là pour partager ce moment, même en état d’ébriété, même froissé et portant les odeurs d’une soirée à boire et à fumer… Sophie me rassura et me dit qu’elle gardait Antoine et Maxime en attendant de savoir comment tout ça allait finir. Puis Paul arriva. J’avais déjà préparé toutes mes affaires et dit au revoir aux enfants et à mes beaux-parents. Sophie me pris dans les bras évitant les remarques désobligeantes qu’elle destinait à son frère, lui conseillant simplement d’être prudent. J’étais tendue et surtout inquiète pour la suite, il fallait pour l’heure prendre la route, j’allais pouvoir prévenir l’équipe médicale et puis prendre ce temps pour parler avec Paul. J’avais juste envie d’être rassurée sur notre petit bonhomme… L’état de Paul m’importait finalement assez peu mais il me fallait lui exprimer ma tristesse et ce que ces nuits froides à l’attendre me faisaient. Il était en quelque sorte responsable de mon état et je lui en voulais. Mais il fallait reconnaître qu’il était là, et c’était ça, à cet instant, qui prévalait sur tout. Nous étions arrivés directement à la maternité où j’avais fait la préparation à la naissance, je connaissais les lieux, et ça me rassurais déjà un peu. J’explique alors à la sage femme qui me reçoit ce que je ressens et elle m’accompagne dans une salle d’examens, je me sens fatiguée et commence à ressentir une tension dans le bas ventre que je ne reconnais pas. La sage-femme me rassure et me dépose une blouse sur le lit : « Je vous laisse vous déshabiller, le médecin va venir vous voir, ne vous inquiétez pas, nous sommes là et tout va bien se passer, je m’appelle Caroline » Elle défait soigneusement l’emballage de la tenue médicale et attrape le fil qui pend le long du lit. Elle le met en évidence sur le dossier et me montre le bouton rouge :
«si vous avez besoin, surtout n’hésitez pas ! Voilà, je vous laisse le temps de vous préparer, à tout à l’heure… »
Elle avait refermé la porte après m’avoir lancé un joli sourire. Le médecin arrivait quelques minutes après que j’eu enfilé ma tenue, l’examen fut rapide et efficace, je n’avais pas eu le temps de comprendre vraiment mon état que déjà je retrouvais les sensations des contractions. On m’avait installée dans une salle de travail, celui-ci avait en effet déjà commencé depuis quelques heures et pour accélérer la délivrance on m’avait perfusée et administré des produits pour déclencher l’accouchement. Je ne comprenais pas trop la situation d’autant que je perdais connaissance régulièrement et n’arrivais plus à effectuer les gestes qui permettaient de faire que tout se passe bien. J’avais fait une réaction au produit et vomissais, le temps nous manquait, je sentais l’équipe médicale sous tension, j’entendais l’activité cardiaque de mon bébé et le mien se mêler, les bruits assourdissants des machines et des cris de femmes dans les salles voisines et surtout la voix de Caroline… « Encore un effort, vous y êtes presque ! » elle me secouait pour ne pas que je m’évanouisse encore. Et puis soudain tout s’accéléra, ils firent venir Paul « On a besoin de vous !! Allez, il faut faire vite !! Ils me mirent sur le côté Paul me tenait la jambe… « Poussez !! Allez !!, il arrive.., on y va encore une fois ! » Je voyais Paul devenir blanc, des visages penchés sur moi, j’entendais l’électrocardiogramme s’emballer, puis plus rien, je m’étais évanouie à nouveau. « Madame !!, Madame !!» Caroline me tapotait la joue, j’ouvrais difficilement les yeux. Elle me prit la main et la reposait sur le petit être qui remuait sur ma poitrine. Des larmes se mirent à couler sur mon visage, je cherchais du regard les yeux de Paul, il me fit un sourire et quitta la pièce, le moment avait été oppressant et il lui fallait prendre l’air… Je me sentais partir à nouveau et Caroline prit notre petit Gabriel qui partait pour les contrôles de routine, elle me rassura encore : « Il fait un bon poids pour un petit bout né avant terme, tout va bien, on l’emmène prendre un bain, reposez vous ! »
Je ne me suis réveillée qu’une fois dans ma chambre mon petit bonhomme tout endormi dans son petit lit à côté du mien. Il avait passé la fin de la soirée avec les infirmières qui s’assuraient que tout allait bien. Il était à présent un peu comme moi, épuisé de tant d’émotion et d’effort, la vie commençait pour lui vraiment très fort, il fallait penser à prendre des forces, mais d’abord se reposer, dormir, dormir… Paul m’avait rejoint dans la chambre, il était bien secoué lui aussi, je lui avais fait la liste des affaires à apporter le lendemain. Il nous embrassa et referma la porte, je savais qu’il était en état de choc, il avait été pris dans le mouvement d’urgence et n’était pas encore remis de sa nuit d’avant. Je ne voulais pas y penser, il me fallait dormir, et puis cette petite voix, je la connaissais déjà, j’avais déjà peur du résultat, il ne fallait juste pas y penser, juste ça… Je regardais alors juste à côté, tout près de moi, ce petit bout d’homme tout tranquillement endormi, les paupières déformées par son petit bonnet de coton. Il avait les petits poings serrés et relevés près de ses joues ; je l’imaginais rêvant déjà à tous ses combats, à nos vies et à ce qu’elle vaut d’être vécue. La donner à nouveau me remplissait de bonheur et rien que cette joie me rassurait sur ce qu’il y avait à donner encore et aussi à transmettre. Donner, tout est là, c’est ainsi que l’on aime. J’avais hâte de voir ses frères le découvrir, j’avais hâte de les voir ensemble et aussi de pouvoir croire encore à notre chance, celle d’une famille heureuse et fière. La nuit était tombée depuis longtemps et je voyais les yeux de Gabriel s’ouvrir, ses petits pleurs de faim me rappelaient comme tout est bien fait, et que rien ne peut empêcher de rêver, jamais. Je le pris alors tout contre moi et le laissais téter goulûment, être ainsi si faible et si fort à la fois m’extasiait toujours autant. On a la vie devant soi et la donner ça fait grandir encore un peu plus à chaque fois. Etre maman c’est ça, donner la vie et assez d’amour à son enfant jusqu’à ce qu’il soit grand et qu’à son tour il en donne infiniment.

Pas à pas

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Cette année là aura vu Paul prendre conscience de son mal avec plus de sérieux, nous avions œuvré pour ça, je me disais que tout ça prouvait que nous voulions vraiment réussir notre vie, il fallait d’abord guérir. Sortir de ce tourbillon de désolation où Paul s’enfermait au moindre échec ou problème, combattre sa faiblesse, éviter le verre de trop. Je m’étais renseignée sur les aides qui existaient pour ce genre de problème et nous avions rencontré une équipe de bénévoles très investis dans une association particulièrement adaptée à notre situation. La croix d’or œuvrait depuis longtemps contre ce fléau et Paul se laissa guider dans cette voix pour essayer de trouver un peu de soutien, de la compassion et aussi d’autres visages abîmés par l’alcool qui pouvaient le comprendre, partager les souffrances et ainsi lutter ensemble. Oui, à plusieurs c’est plus facile, on se sent moins démuni, on apprend à dédramatiser, à trouver du réconfort et surtout on sait alors que d’autres vivent un peu les même choses, les même douleurs. Les réunions et les rencontres avec la croix d’or se mêlaient à celles que nous partagions avec l’abbé Poquet de Notre Dame en Saint Melaine où nous avions décidé de nous préparer pour notre mariage. Pouvoir parler de nos problèmes de couple et aussi de l’alcoolisme de Paul avec cet homme d’église me permettait de mettre de la distance entre les évènements, en ce que je croyais et ce que je vivais et aussi de pouvoir pardonner à mon mari ses déboires, d’essayer de ne pas lui en vouloir. Mais tout ça n’était pas si simple, le travail de Paul et son environnement le faisait souvent sombrer, il me semblait pourtant qu’il luttait, … Il m’était arrivé de me décourager et de vraiment ne plus croire en rien. Mon petit bout d’homme qui arrondissait pour la troisième fois mon ventre lourd me donnait le courage et la force d’espérer encore. Antoine et Maxime encore davantage. Antoine surtout par son attitude tellement détachée face à nos soucis, à mes craintes et à mes soirées à attendre son père. Je crois que lui, ne l’attendait plus. Il avait mis quelque chose sur tout ça pour ne pas que cela le fasse souffrir. J’enviais presque sa façon de vivre sans nous, au milieu de nous mais sans prendre part aux difficultés comme si tout passait autour sans le toucher. Cela me rendait aussi un peu triste, et savoir qu’il trouvait ce dont il avait besoin pour son équilibre auprès de mes parents me ramenait à mes défaillances, à tout ce que je pensais de moi à ce moment là. Je crois que les absences de Paul à ce moment de mon existence devinrent si fréquentes et si pesantes, si douloureuses et me faisaient sentir tellement impuissante que je m’étais fait à l’idée d’être juste mère, juste ça : Maman. Mon rôle de femme, déjà écorné s’effaçait au fil du temps, se désagrégeait, j’était passé d’une ado-maman à une maman tout court. Mon corps se souvenait de l’essentiel et cela suffisait. Porter la vie, la donner et l’écouter grandir, faisaient de moi ce que j’étais. Paul ne me regardait plus, il survivait, je souffrais et parfois les silences devenaient bien trop lourds et froids. Je ne trouvais pas le temps d’entendre et encore moins de comprendre sa situation. Je le voyais se faire du mal et faire souffrir notre famille. Je ne supportais plus ses absences, surtout la nuit. Je parlais tout bas à ce petit bonhomme qui allait agrandir ce foyer que pourtant je n’avais pas su défendre et apaiser. Mais j’espérais encore, je voulais croire que la vie et l’amour pouvaient sauver n’importe quelle situation. Mais j’avais oublié que je combattais seule, du moins j’en avais l’impression, je m’érigeais déjà pour lutter contre l’alcoolisme de Paul, et le soutenais comme je pouvais et surement très maladroitement. J’élevais aussi mes deux trésors de mon mieux et portait fièrement le troisième. Je ne m’essoufflais pas, je pense juste que je vivais multiplié par cent, avec une rage non dissimulée, même si j’essayais de la contenir. Je savais que je devais tenir, garder la tête haute, être cette mère digne et courageuse qui force le respect, celui que j’espérais pour exister, celui que j’attendais de mes parents et de qui je le savais pourtant, n’obtiendrais aucun signe de soutien ou d’encouragement. Mon soutien le plus consolateur était dans ce tout petit, là, lové contre mon cœur et à qui je confiais mes peurs. Ce petit trésor à qui je parlais la nuit pour me rassurer et qui commençait à remuer sous la peau tirée de mon ventre. Un soir de septembre sachant qu’il s’agissait d’un autre petit garçon nous avions décidé de l’appeler par son prénom et ce soir là en m’endormant je lui répétais doucement : « Mon petit Gabriel, je te promets d’être là toujours pour que tu ne manques de rien. Je t’aime déjà si fort. Dors bien mon petit ange… à demain.»

L’automne était bien installé et le froid de l’hiver s’annonçait doucement… « Reste bien au chaud petit ange. »

Un, deux, trois

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Depuis quelques semaines, les nuits de Paul ne croisaient plus les miennes, mon temps s’étalait entre l’école d’Antoine, celle de Maxime et mon travail. Je voyais mes beaux parents de temps en temps le week-end, les enfants étaient heureux de retrouver leurs cousins. La vie filait et j’étais triste de ne pouvoir retenir le regard de mon époux sur moi, je me sentais vide, inconsistante, les paroles de mon père faisaient écho à chaque fois que j’essayais de comprendre, de le comprendre. Il est sûrement bien trop intelligent pour moi, ses silences rassemblent les morceaux de notre existence sans fond où les mots n’ont aucune résonnance, il ne comprend pas mon mal être et je ne comprends pas le sien. Mais est-ce vraiment un problème d’intellect ?
Je savais bien au fond de moi que sa façon de penser et de comprendre les choses, bien que très particulière, n’avait rien à voir avec les sentiments, la raison sait se mettre là où il ne faut pas pour essayer de contredire le cœur, mais au final rien ne peut vraiment s’expliquer, on aime pour un tas de raisons et ce sentiment que l’on éprouve est quelque chose de mystérieux qu’il faut apprivoiser au fil du temps. J’avais mon idée sur la question mais la partager avec Paul était bien compliqué. Il nous manquait le temps, l’envie et peut être la raison aussi…
J’avais quand même décidé de contredire mon paternel, comme toujours comme il ne fallait pas, maladroitement avec ce que je croyais être moi et ce petit grain de folie qui colorait ma vie en rose ; ce petit truc en plus pour dire : « j’y crois encore !! » et puis trouver enfin un moment à nous, un moment pour se dire qu’on s’aime malgré tout, même si on ne se le dit pas, parfois un regard ou un geste suffisent. Mais ce soir là j’avais besoin qu’il m’aime sérieusement, qu’on prenne le temps, je ne voulais pas donner raison à mon père, il suffisait juste de s’aimer encore longtemps.Alors je me souviens d’une nuit, d’une de celle que j’attendais, une nuit comme j’en avais rêvé, ce soir là, il était rentré ! Nous regardions ensemble un énième épisode de « Docteur House » qui nous faisait. L’atmosphère était donc légère, j’avais posé ma tête sur son épaule lui disant que j’aimerai qu’il rentre tôt plus souvent. La nuit qui suivit me rassura sur ses envies et sa façon de m’aimer même si c’était loin d’être comme je l’avais imaginé, il m’avait serrée dans ses bras, et quand il m’a dit qu’il me trouvait belle, je l’ai cru, son regard était pourtant toujours un peu ailleurs. Mais tout ça n’avait pas d’importance à ce moment là, je voulais juste trouver le moyen de rendre notre vie encore plus vraie, encore plus belle, je voulais faire que tout s’arrange, que tous nos soucis s’évaporent… Bien sûr cette nuit là je n’avais rien trouvé pour tout régler, juste un peu de cette tendresse qui me manquait tant trop souvent. Je profitais donc de ses bras autour de moi et me mise à rêver, à imaginer ce qu’aurait pu être ce moment à nous si j’avais fait durer le plaisir, s’il ne s’était pas endormi si vite, et si, et si…
Quelques semaines avaient passées, nous avions fêté l’anniversaire de Paul chez ses parents où toute la famille s’était réunie. Nous avions passé un joli moment suspendu, dans les rires et les cris des enfants, il avait fait beau et le soleil faisait briller les couleurs du jardin de La Vallière.  Ces instants là nous rassuraient sur l’importance d’être ensemble et nous donnaient envie de nous laisser encore du temps, même si parfois les agissements de Paul me faisaient douter. C’est à cette période là, un peu avant que ne commence le mois de Mai que j’avais deviné que mon corps allait de nouveau se transformer. J’avais la poitrine un peu gonflée et aussi quelques nausées. Des signes qui ne trompent pas et qu’un test de grossesse validait quelques jours plus tard. Paul avait pris la nouvelle avec inquiétude, il pensait que ce n’était pas le bon moment, que son emploi n’était pas encore bien stabilisé, et que nous n’avions pas vraiment les moyens à ce moment là pour l’arrivée d’un autre enfant. En un mot, ce ne fût pas une bonne nouvelle pour lui. Mais peu emportait son avis, j’étais heureuse et je l’aimais déjà. Annoncer la nouvelle à Antoine et Maxime était un moment de joie pour moi, les enfants me permettaient de supporter bien des tourments, me permettaient de m’oublier surtout, vivre pour eux me semblait être la meilleure façon de ne pas penser, et d’ainsi vivre pour demain pour continuer à croire en l’avenir.

Des secrets

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Avec Paul, tout était toujours trop court, comme nos rencontres, brèves mais toujours intenses. Parfois sous le ciel rennais bientôt noir et brumeux ou bien derrière la porte de notre appartement après une journée de travail. Il y avait toujours des mots sans histoire, comme par habitude, pour être agréable, pour faire la conversation… La famille, le travail, le temps, les enfants, l’école, les amis, et les choses à faire, les papiers à signer, les dossiers en attente… Le sien surtout, cette envie de mettre à jour nos vies, de reprendre le cours de notre histoire sans heurs, sans étincelles, sans pleurs.
Je lui disais que j’aimerai qu’on sorte plus souvent, que son travail nous prenait tout notre temps, et puis les enfants…
Ce soir là, j’avais eu ma cousine Juliette au téléphone, elle nous invitait à dîner à la fin de la semaine, un vendredi soir sur Rennes, un immeuble près des horizons, enfin un peu de hauteur, une petite récréation, une soirée pour mettre les pieds sous la table, refaire le monde, partager un joli moment, et pouvoir profiter de Paul enfin ailleurs, avec moi.
A vendredi donc, … 19h00 avec une bonne bouteille et notre bonne humeur !
Paul était un peu gêné, toujours quand on se retrouvait en compagnie de personnes pas forcément très proches et puis toujours cette foutue crainte d’être jugé, épié, questionné, conseillé… 
Le vendredi soir était vite arrivé, j’avais fait garder les enfants, je devais rejoindre Paul à l’adresse que Juliette nous avait indiquée et que j’avais pris soin de lui envoyer par sms dans l’après midi.
J’étais arrivée à l’heure et à la bonne adresse, même si j’avais mis un peu de temps à trouver une place pour ma garer. Je n’avais pas réussi à joindre Paul et ne savais pas où il était ni s’il allait me retrouver,… nous retrouver…
Juliette et Bastien m’avaient accueillie très chaleureusement, la table était dressée et les odeurs de cuisine me donnaient finalement faim malgré mon estomac un peu noué. Juliette avait deviné mon inquiétude, et Bastien ne préférait ne pas y prêter attention, il avait juste soupiré en appuyant sa main sur mon épaule comme pour me montrer son soutien. Juliette me faisait faire le tour du propriétaire, l’appartement était clair et spacieux, ils étaient installés depuis peu tous les deux mais rien ne manquait à leur façon bien rangée de faire les choses, de les penser et de les vivre.
Bastien nous avait servi un verre du vin que j’avais apporté, nous avons pris place autour de la table, nous avions commencé à refaire le monde ou plutôt celui de Paul et comme s’il nous avait entendu, une heure après le téléphone avait sonné,… Paul aurait juste un peu de retard, juste un peu, il allait bientôt nous rejoindre, et ça c’était bien. Juliette était d’accord, même si son sourire maladroit en arrivant montrait sa gêne et son état quelque peu alcoolisé… Il avait simplement besoin de prendre les forces nécessaires à cette soirée qui ne faisait que commencer et qui finira par révéler un secret de famille si fragile et si douloureux, si loin, et si proche, si incroyable que difficile à croire, mais surtout à accepter. Juliette avait permis de mettre des mots sur des idées que je me faisais, qui tout simplement  n’en étaient pas. Parfois il faut prêcher le faux pour savoir le vrai et à ce jeu j’étais plutôt bien entraînée, le doute n’était donc plus possible,… Paul avait raison concernant ma sœur aînée. Cette idée que Louise était née avant le mariage de papa et maman, ça on le savait, puisque la date de leur mariage avait été falsifiée ; mais que papa n’était pas son père, ça, j’avais encore du mal à me dire que c’était possible. Mais surtout, ce qui me semblait inconcevable, était le fait que maman ait pu avoir une vie avant, une vie cachée, une vie qu’elle avait ensevelie sous un silence de plomb.
Louise ne savait rien… Personne, enfin presque puisque ce secret de famille venait de m’être révélé de la bouche de ma cousine qui savait depuis plusieurs années et qui, selon elle, n’était pas la seule. Comment un tel secret avait pu rester si longtemps caché de tous, comment avions pu ne pas savoir, comment allions nous pouvoir vivre avec désormais, comment ? Alors que maman avait été épousée étant fille-mère, ont-ils pu, avec papa, me chasser de la maison, alors que j’avais, sans le savoir, inconsciemment donc, préférer garder mon enfants lorsque l’histoire se répétait ?!
Paul lui, avait déjà fait la part des choses, il prenait ça comme tout, avec simplicité, le recule nécessaire et sans la moindre faiblesse. Pour lui, c’était ainsi et les personnes concernées avaient sûrement fait comme elles pouvaient, sûrement sans vouloir faire de peine, sûrement sans savoir qu’un jour tout fini par se savoir ! Oui, tout ! Mais moi je n’avais pas la même vision sur tout ça, surtout pas la même sensibilité et puis cela me concernait, j’avais souffert d’une injustice, et je savais qu’elle ne serait jamais complètement rétablie. Je savais surtout que Louise l’apprendrait forcément un jour, que ce serait très difficile à vivre et que peut être d’autres secrets, d’autres mensonges allaient encore jalonner notre vie, d’un côté ou bien de l’autre, ou même au milieu, là, entre nous, où il restait encore juste de quoi remettre un peu d’espérance.
Juliette avait pris conscience du poids des mots que bien plus tard, la conversassions c’était poursuivie sans tourments puisque je faisais mine de savoir depuis longtemps. Nous avions terminé la soirée au salon sur un fond musical qui avait permis de me détendre malgré les pensées qui envahissaient mon esprit bien accablé de tant de surprenantes vérités.
La fatigue me gagnait, il était temps de rentrer, depuis quelques jours, un rien me fatiguait, je voulais juste que le temps s’arrête, que Paul me prenne la main et me rassure, me dise qu’il serait là désormais, qu’on avait qu’une vie et qu’on allait enfin pouvoir en profiter, il l’avait décidé, il la désirait tellement lui aussi… Après les secrets et les mensonges j’avais juste envie de rêver. Après tout, j’en avais le droit, rêver c’est bien aussi, même si vivre pour de vrai c’est mieux, du moins, je le croyais…

Continuer à croire…

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Je pensais bien sûr que tout était encore possible, que l’on traverserait les orages, que nous danserions même sous la pluie, et puis que l’on se dirait «Oui» pour s’aimer pour longtemps. Oui, s’aimer comme on l’imagine quand on est enfant et que l’on croit au prince charmant, bref, s’aimer pour la vie.
J’avais alors fait en sorte de pouvoir toucher ce rêve du bout des doigts, j’avais fait en sorte de pouvoir mettre Paul dans les conditions nécessaires pour un jour extraordinaire, je voulais que nous nous préparions avec un homme d’Église, je souhaitais que ce moment soit quelque chose d’un peu à part, quelque chose qui nous permettrai de vire mieux, surtout de vivre enfin heureux. 
L’abbé qui nous avait reçu ce jour là avait bien compris nos difficultés et avait donné son accord pour nous guider jusqu’au jour de notre mariage religieux. J’étais heureuse de cet échange, Paul avait accepté de se dévoiler un peu plus, nous arrivions à passer du temps pour ça, et c’était déjà bien.
Pour le reste tout était suspendu au temps qui passe, moi avec les enfants le plus souvent et puis dans la boutique où j’aimais respirer les odeurs de soie, de laine et de coton mélangé, mon univers à moi.., Paul lui passait ses jours, ses soirées, ses nuits parfois au bureau, il fuyait je le pensais, la simplicité des moments en famille, la joie de se voir juste ensemble et de pouvoir se satisfaire de peu, de juste ça, de «nous» c’était pourtant si facile de créer notre bonheur.
Mais la raison chez Paul l’emportait toujours, et pour moi le cœur était le seul dirigeant…
Mais mon envie de croire était, encore à ce moment là la plus forte, et nous en étions à chercher un lieu pour l’événement.
J’avais également préparé les faire-part, et puis commencé à les envoyer. La date avait été prise et puis celle pour trouver une tenue adaptée aussi.
Avec Laurence, mon amie d’adolescence, nous avions pris le temps de faire les boutiques, j’avais envie de trouver ma robe, je savais qu’il existait quelque part celle qui me convenait pour être moi, celle juste pour ce jour là.
J’étais étonnée de mon image dans le miroir affublée de blanc, de dentelles et de rubans, j’en avais essayé plusieurs, et cela m’avait convaincu qu’il fallait chercher ailleurs, chercher quelque chose de moins solennel. Alors au détour d’une rue, exposée là dans une vitrine d’une toute petite boutique du centre ville, je m’étais extasiée devant une magnifique robe de cocktail couleur champagne, je l’a trouvais juste à mon goût, terriblement même, et puis mon œil descendit jusqu’à l’étiquette posée en évidence au pied de la tenue : astronomique !!
Laurence sourit et puis pris ma main pour me tirer jusque dans la boutique, devant une charmante dame au large sourire.
«Bonjour Madame, Mon amie souhaite voir la robe que vous avez présentée en vitrine, est il possible de lui faire essayer ?»
Laurence m’avait finalement permis d’y croire, après tout, je pouvais bien l’essayer, juste pour le plaisir me disais-je ! Oui c’était magique ! cette robe était presque trop belle, on me remit le cintre dans les mains et je prenais place dans la cabine d’essayage… j’avais vu 36 dans la couture et aussi de nouveau le prix sur l’étiquette délicatement nouée dans le col. Quelle folie !
Le taffetas de soie crissait sous mes doigts et je mettais un temps fou à l’enfilez de peur de l’abîmer. J’avais du mal à remonter la fermeture jusqu’à la poitrine, je faisais quand même un 38, et malgré la taille Italienne du vêtement il manquait un centimètre de tissu pour que je puisse la fermer complètement. Je me trouvais à présent devant le miroir où je voyais Laurence et son magnifique sourire et puis moi dans cette robe complètement improbable dans laquelle j’avais l’impression d’être quelqu’un d’autre. Je savais que c’était celle là, je n’en voulais pas d’autres, mais comment rendre tout ça possible ?
Alors Laurence souriant toujours,décida elle aussi que tout était réalisable et me rappela que j’avais une fée pas loin qui serait ravie de me faire plaisir à cette occasion : ma marraine ! Pour la taille ; la jolie dame de la boutique s’était occupée de prendre les mesures et me donna une semaine pour récupérer ma robe juste comme je la voulais et surtout pour que le dernier bouton puisse être fermé et que je puisse le jour «J» simplement respirer… et donc rire aux éclats, chanter, pleurer, danser, courir, et puis crier aussi sûrement … Bref, en faire une robe à ma taille, une robe sur mesure !!
Depuis ce jour je rêvais, je m’imaginais cet instant un peu différent chaque fois, j’avais tellement d’envies…
Mais cela n’était qu’une parenthèse, un joli moment dans une vie en suspend, suspendu aux rêves de quelqu’un d’autre, ceux de celui à qui pourtant j’avais dit «oui», celui avec qui je partageais les nuits, celles où il était là, parfois, la tête ailleurs et le cœur je ne savais pas vraiment où, ni avec qui, sûrement bien trop serré dans un carcan prêt à craqué, emmailloté pour ne surtout pas battre trop fort, bref, je ne savais plus trop comment notre amour survivait, je ne savait plus trop comment lui dire qu’il me manquait, tellement, tellement trop souvent…
Mais Paul avait toujours de jolies phrases pour tout simplifier, pour dire que finalement tout allait bien, qu’il y a des moments où l’on a le droit d’aller mal, d’être fatigué, et puis son travail revenait sur la tapis, cela prenait de la place dans notre vie et puis peut être que je ne savais pas vraiment combien pour lui c’était important.
L’important à ce moment de mon existence était ce rêve que je pouvais toucher du bout des doigts, et mon rêve durait encore, j’avais ça pour garder espoir, prendre le temps de préparer un joli moment, notre journée, celle où je porterais fièrement ma robe de fée, celle où enfin mon cœur serait apaisé.
J’avais récupéré l’objet de mes désirs un soir de Mai, je l’avais suspendue au fond de la mezzanine, sur un clou. Elle était recouverte d’une housse de papier de soie et de plastique, parfois il m’arrivait de la défaire, de la poser tout contre moi et d’imaginer encore cette journée formidable que bientôt nous pourrions vivre. Je la rêvais dansant éperdument en oubliant qu’un jour j’avais attendu le prince charmant, je dansais de joie et d’amour, je dansais avec Paul et tout autour des sourires nous portaient faisant de cet instant un merveilleux souvenirs.

Rêver encore…

par corps

Se marier devant Dieu, dans cette église, fonder une famille, croire aux cieux, croire en Dieu… Je ne savais plus comment espérer autre chose, je pensais prendre le bon chemin et pourtant. Paul était si loin, loin de moi, de cette vie avec les enfants que j’essayais de faire grandir du mieux possible, loin d’imaginer comme je souffrais de ses absences. Nous étions en fait loin l’un de l’autre, loin de nous. Je découvrais finalement dans ces silences et dans ce temps qu’il me laissait des facettes de ma personnalité que j’avais du mal à analyser. J’avais le temps de me regarder vivre, et j’avais besoin d’essayer de comprendre pourquoi je vivais dans le manque. J’avais souvent des réactions excessives ou inappropriées. Les joies que me procuraient mes enfants contrebalançaient les moments de peines et de colères qu’engendraient les débordements de Paul, enfin, surtout ses absences et puis tout ce que je ne pouvais vivre comme je l’avais rêvé, puisque lui, comme moi (je le réalisais à ce moment là) n’avions pas réglé nos problèmes du passé, nos démons de midi, de minuit ou d’ailleurs. Nous avions grandi sans béquilles et avec des blessures qui avaient ainsi, au fil du temps, dessinées sur la route de notre vie à deux quelques lignes rouges, comme des cicatrices encore trop douloureuses et difficilement accommodables, sans aide, avec une vie de famille, une vie sereine, une vie heureuse, une vie tout court. Les absences et les silences de Paul me permettaient donc de prendre du temps pour ça,du temps pour m’apercevoir, mais juste ça. Le reste, je ne le réalisais pas vraiment. Je n’avais pas le recul nécessaire, j’avais à m’occuper d’Antoine et de Maxime. Ma vie tenait en cela, dans ce rôle de mère qui me prenait du temps et beaucoup d’énergie et aussi me permettait de rester sans voir, sans savoir, je préférai continuer à courir. Les moments avec eux étaient tendres et joyeux, comme le jour des premiers pas de Maxime ou le sourire d’Antoine après avoir perdu une énième dent… Et puis il y avait nos week-end en famille, ceux chez les parents de Paul où je retrouvais Sophie et ma belle-mère aussi. Les enfants étaient heureux de se voir et de passer du temps ensemble, comme nous attablés des heures à refaire le monde : on y croyait, on espérait. Avec Sophie, tout était simple et beau, elle voyait la vie en rose, comme les joues des enfants, des siens, des miens, enfin des nôtres. Ces moments là étaient précieux et je les gardais pour me souvenir, je les gardais pour me réconforter et me dire qu’un jour ils seront notre quotidien, enfin ! Mais je revenais vite à ma réalité, à mes jours à mes nuits. Paul s’effaçait trop souvent, il devenait un manque et quelque chose dans mon existence que je n’arrivais pas à définir complètement . Un mari ? Pas vraiment. Un père ? En devenir peut être… Moi je me fanais. Je manquais de cette chose qu’on offre aux gens qu’on aime pour qu’ils se sentent vivants, aimés et heureux. Cette chose qui fait battre les cœurs et vibrer les corps. Je manquais d’amour et de tendresse et aussi de pouvoir donner et recevoir. Encore une fois je réalisais combien je manquais d’équilibre. J’avais trop masqué mes blessures ; elles rejaillissaient à la moindre faille dans mon histoire avec Paul. Je lui reprochais trop de choses et elles s’entassaient. Je lui en voulais tellement de ne pas nous aimer. Il y avait mes jours, il y avait mes nuits… Cette nuit là avait encore été pâle et sans saveur. J’entendais pourtant battre son cœur là, près du mien. J’aurai aimé qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me serre fort, qu’il me dise des mots tout bas et puis qu’il m’embrasse jusqu’à ce que ma respiration s’accélère, que mon corps tremble de ses mains sur moi, partout jusqu’à ce que nos corps se consument, se brûlent, s’aiment, oui, s’aiment. Mais cette nuit là je ne faisais encore que rêver. Je lui avais préparé son café ce matin là, comme tous ceux où l’on se réveillait ensemble, et où, à peine levé, il allait allumer sa première cigarette sur le balcon. Je le regardais et puis essayais d’imaginer ce qu’il pensait alors, de nous, de cet instant, de nos nuits, de notre amour qui n’existait finalement que dans le regard de ceux qui ne savaient pas, de tous ceux qui voyaient en nous, cette belle image que j’essayais de peindre pour que personne ne puisse savoir, même pas moi, non, je ne voulais pas savoir. Je m’enterrais dans cette vie sans vouloir comprendre, je ne voulais pas que l’on me dise que j’avais échoué, que j’étais malheureuse et que j’avais une autre vie qui m’attendait quelque part. J’avais encore des rêves plein les yeux, j’avais encore envie d’y croire et puis de me voir dans ce joli dessin comme dans tout ce que mon enfance m’avait permis d’imaginer. Je voulais me marier dans une église, devant Dieu et puis avec tous ceux qui voulaient bien croire en nous, tous ceux qui me disais : « vous êtes beaux, vous avez une belle famille ! » Avec une jolie robe, avec des fleurs, des sourires et des enfants, des chants et des prières, des danses et des cris de joie, je voulais croire qu’une journée à se marier allait sûrement tout arranger. Laura aime rêver, elle aime surtout espérer, toujours… Elle court et puis le vent se lève, alors ses yeux la piquent et puis se remplissent de larmes, elle a froid. Elle avait oublié que la nuit venait de tomber et réalise alors que Paul n’est pas rentré. Paul ? Mais où es-tu ? Paul … A suivre…

Ici ou bien ailleurs

je reviendrai
J’avais imaginé en mettant au monde mon deuxième enfant, en étant mariée et en devinant Paul époux et père que tout allait changer… J’avais oublié mon impatience, mais il n’y avait pas que cela. Il y avait les soirées à attendre, celles où je priais et celles où j’espérais et puis celles où je pleurais. Paul était ailleurs tellement souvent, ailleurs même près de nous, de moi, ailleurs sans que je sache vraiment où. J’étais une mère, une maman, mais femme aussi et celle d’un homme qui ne le savait pas, il avait oublié, ou bien ne voulait plus savoir, je n’étais finalement plus qu’une mère, juste ça : maman. Mais ce juste « ça » représentait tellement pour moi. Cela me plaisait et m’apprenait aussi qui j’étais, qui je devenais… J’aimais entendre mes enfants rire et puis m’appeler, juste savoir qu’ils avaient besoin de moi me rendait heureuse, je me contentais de ça pour l’instant…

Maxime, pendant ce temps là, dans notre petite famille un peu bancale, nous faisait passer de drôles de nuits. Elles étaient courtes forcément, mais aussi douces et joyeuses parce que j’avais trouvé le moyen de rendormir notre petit bout d’homme en chantant les comptines de mes souvenirs, celles qu’on apprend pour bercer les enfants. Je balançais mon fils dans sa nacelle tout en fredonnant que « la vie est belle comme un vole d’hirondelle »… Je ne trouvais pas de mal ensuite à me rendormir, il me suffisait de penser à demain, à ce que notre famille allait devenir, à la joie de pouvoir croire à notre histoire, malgré tout, je voulais garder l’éspoir.
Et puis nous allions bientôt refaire les cartons, découvrir une autre ville, d’autres gens…  Paul avait tapé dans l’œil d’un client avec qui son entreprise travaillait depuis quelques années déjà. Il lui avait simplement parlé de son projet auquel il souhaitait l’associer. Les choses se sont faites rapidement, même si l’on n’avait pas le recul nécessaire sur ce que cela allait impliquer dans notre vie. Il y avait un chemin à prendre, là, juste devant, une autre voie qui permettait à Paul de s’épanouir autrement, et puis de nous montrer ce qu’il pouvait faire, ce qu’il pouvait créer et partager, il fallait l’emprunter et puis s’y maintenir. C’était sa façon à lui de devenir père, je ne le comprenais pas vraiment, mais je devais y croire, pour nous, pour que les nuits sans lui n’existent plus, pour que je comprenne qu’il est possible d’aimer autrement, oui, je voulais y croire, vraiment. C’était comme si je gommais tous les jours les souvenirs pénibles, comme s’ils n’avaient jamais existés, comme si hier n’existait plus ou presque. C’était ma façon à moi d’oublier les moments où j’aurai pu tout laisser tomber, tout abandonner parce que je ne me sentais pas aimée. Il fallait y croire, et puis mettre devant toutes les belles choses que l’on avait et qui permettaient d’espérer. Les choses rien qu’à nous comme les enfants et puis nos moments de vie où tout paraissait parfait, ceux où l’on sourit malgré tout, il suffisait d’y croire, juste ça…
Depuis quelques temps et un autre déménagement, un nouveau paysage s’était dessiné tout autour de nous, une autre ville, un peu moins grande, un peu plus dense, un peu plus grise aussi. J’avais du mal à trouver des similitudes entre ces deux cités de province et encore moins des manières de trouver celle où nous vivions désormais, agréable, jolie ou je ne sais quoi de positif. J’avais en fait le mal de ma ville d’adoption, celle où j’avais crée des liens forts, celle où je m’étais mariée, celle où Maxime était né, celle où j’avais appris de moi, tellement… Mais le temps, comme pour tout dans ma vie, allait sûrement bien faire les choses, il me faudra simplement apprendre à découvrir ce nouvel endroit, cette ville qui deviendrait celle des enfants, là où nous allions apprendre à nous aimer, j’en rêvais, et je m’y employais, il fallait prendre le temps, gérer mes impatiences…
Nous avions trouvé un appartement en centre ville, bien situé pour toutes les commodités et aussi pas trop loin des bureaux de Paul. L’école d’Antoine n’était pas loin non plus et j’avais bien organisé les choses pour pouvoir de nouveau travailler rapidement. C’est un peu ça une famille, c’est une petite entreprise, j’apprenais doucement au fil des jours, des nuits aussi. Parfois je me rendais compte combien tout était encore fragile et douloureux. Mais je n’oubliais pas non plus d’effacer, et puis de tout recommencer, même si parfois fuir me venait à l’esprit. Alors les enfants me rappelaient à ma vie de maman, celle qui organisait mes journées et qui m’évitait de trop penser. J’avais trouvé mon rythme, organisé ma vie autour de mon travail, trouvé une assistante maternelle pour Maxime, accompagné Antoine dans sa nouvelle école et fait en sorte qu’il s’y sente bien, j’avais aussi préparer notre chez nous au mieux, j’avais envie que tout aille bien, trop, peut être, sûrement… J’avais surtout essayé de comprendre la façon dont Paul mettait en place son nouveau cheval de bataille, cette entreprise qu’il allait créer et faire de lui ce à quoi il aspirait, cette chose qui faisait que lui et moi ne faisions que nous croiser, cette partie de lui que je n’arrivais pas à accepter. Il y avait cette ombre au dessus de nous, comme un nuage tout noir et menaçant, une ombre au tableau. Paul buvait pour oublier je ne sais quoi et finissait par nous mélanger avec  cette chose qu’il voulait engloutir en même temps que ses pintes de bière. Il me manquait tant, tout le temps, et son état et l’odeur qui l’accompagnait quand il rentrait le soir m’était insupportable. Je lui en voulais de ne pas être assez fort, ni assez grand, ni assez droit. Il se mettait si minable et si peu aimable dans ces moments là. Je le prenais alors pour moi, et en concluais qu’il ne m’aimait pas, qu’il ne m’aimerai jamais. Je ne comprenais pas ce besoin de boire autant, de boire et puis de me faire croire, de boire et puis de m’oublier, de boire et puis de m’abandonner, je comprenais pourtant que le fait de ne pas supporter son état l’empêchait alors de rentrer chez nous. Cela lui donnait une autre raison de continuer à boire, pour oublier, pour ne pas rentrer, oublier…
C’est à cette période de notre vie, alors qu’il avait compris son addiction et qu’on avait pu en parler ensemble, qu’il accepta de se faire aider, c’était aussi le moment où Maxime faisait ses premiers pas, c’était comme un signe, c’était le bon moment. Alors de ce nuage noir et menaçant qui nous suivait jusqu’ici sortit un rayon de soleil. Un peu de paix dans notre maisonnée ; j’avais repris confiance en moi, en lui, en nous, j’avais alors envie d’y croire encore. Il faisait vraiment très beau et nous avions donc décidé de nous donner une chance, une vraie cette fois, une chance d’être heureux ensemble. Alors, un soir de la semaine où le soleil brillait encore, en rentrant de mon travail,  j’avais poussé la porte de l’église de mon quartier. J’avais simplement regarder du bout de l’allée jusqu’à l’hôtel, et dans ce que la lumière des vitraux me laissait voir, je m’étais imaginée portant une jolie robe de mariée, mon père à mes côtés. Avec Paul, nous nous étions préparés à ça, j’avais besoin d’un moment comme ça, un moment à nous pour sceller notre histoire et nos vies et pouvoir ainsi imaginer faire durer notre couple ; faire grandir notre famille, faire que ce nuage noir disparaisse enfin et que mon rôle de mère se complète par celui de femme, d’épouse, et surtout qu’il me soit possible d’être heureuse dans cette vie que je dessinais au jour le jour en continuant à gommer, par-ci, par-là les quelques ratures inévitables qui venaient sournoisement assombrir le tableau que nous étions entrain de restaurer. Mais à ce moment de notre histoire, il faisait beau, et c’était bien, il fallait prendre tout ce qui brillait, même juste le temps d’un soupire, parce qu’on le sait, parfois tout s’éteint, alors oui, on prend tout et puis on verra bien demain… Je savais que j’avais eu raison d’entrer dans cette église, elle était belle et cet endroit me laissait penser que j’allais un jour aimer cette ville et peut être même ses habitants, ses monuments, ses festivals, ses étés, ses hivers… Bientôt, demain…
Un jour, à très vite… A suivre…

Naissance

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Ce soir là nous étions devant la télévision, dans ce clic-clac un peu bancale recouvert d’un boutis de coton crème que ma belle-mère m’avait offert. Nous étions rarement dans cet endroit ensemble et je nous regardais, là, côte à côte dans notre salon, face à notre boîte à divertir, moi toute grosse et lui bien présent, à mes côtés, pour une fois… Il se levait fréquemment pour fumer une cigarette sur le balcon malgré le vent qui s’engouffrait par la baie vitrée, malgré mon état. Je n’étais pas loin de la délivrance, je le savais, je le sentais. Je venais de nouveau de sourire, et puis je me suis mise à rire. Nous regardions Les portes de la gloire avec Benoît Poelvoorde que j’aime beaucoup. Ce film, pourtant tragique, transformait chaque situation en fou-rire. Il faut dire que le jeu des acteurs permettait ces éclats avec une aisance déconcertante, juste l’attitude de Benoît déjà, dans ce rôle pathétique laissait sur mes lèvres un rictus imposé. Mes rires s’intensifiaient. Je suis faite comme ça, je ris je pleure tellement fort parfois. J’étais heureuse que Paul soit là, j’étais heureuse de partager cet instant avec lui, et puis de rire… Il y avait surtout cet autre là, tout bas, ce petit bout de nous qui ne bougeait plus trop et me faisait comprendre que le temps était venu pour lui de naître. Mes éclats de rires me donnaient des contractions de plus en plus violentes. Mon ventre alors se durcissait et provoquait une tension si forte que seule une respiration lente et profonde me permettait de gérer le moment. J’avais attrapé la main de Paul à plusieurs reprises pour la serrer. Je savais que nous allions bientôt devoir prendre le chemin de la clinique…

Je comptais les minutes entre chaque pic de douleur, mes respirations,… Je me souvenais que le travail, ce moment avant d’accoucher, était souvent long et je préférais profiter de cet instant où Paul était près de moi, où je riais, où je pouvais croire à mon histoire, à tout ce dont j’avais rêvé et qui se jouait dans cet espace à nous, juste avant que naisse notre premier enfant, notre fils, et je l’espérais tant, le début de notre histoire d’Amour. Je finis par compter cinq minutes entre les contractions et aussi de réaliser que la douleur devenait difficile à maîtriser. Il fallait fermer « les portes de la gloire » j’avais ris encore et puis réveillé Antoine qui commençait tout juste sa nuit. J’avais appelé notre voisine chez qui  nous allions le déposer qu’il puisse se rendormir et rêver encore une nuit à son petit frère avant de pouvoir le lendemain, le prendre dans ses bras. Je respirais fort, je tenais mon ventre. Et puis le décor devint tout blanc, des murs, des néons, des draps, des blouses, et puis mon teint… Paul avait l’air calme, juste l’air… On me fit patienter dans une chambre et puis le médecin vint m’examiner : « et bien madame, il était temps ! Le travail est déjà bien avancé et il vous reste une heure peut être deux à peine, il faut me dire maintenant si vous voulez que l’on vous pose la péridurale, après il sera trop tard. » Je respirai encore très fort et puis laissais passer une longue contraction. Je décidais que finalement je pouvais supporter encore une heure et que je me passerai de l’anesthésie. Quelle idée j’avais eu là ! Une heure finalement peut sembler une éternité, cela me revint, je souffrais en silence jusqu’à ce moment si fort si incroyable si fou, … Paul se cachait derrière son appareil photo qu’il remettait dans sa poche, prenant dans l’autre une cigarette qui lui permettait de prendre l’air. Il était nerveux, il sentait que ces moments là ne pouvaient se vivre sans débordement d’émotions, surtout lui, surtout là, maintenant que je criais pour exprimer ma souffrance. Je pensais pourtant à toutes les femmes du monde, à cette chance de pouvoir donner la vie, à ce que d’autres pouvaient endurer. Mais la douleur parfois ne se décrit plus, elle envahit tout le corps et n’a pour seule issue l’air qu’elle remplit de sons indéfinissables.
Je savais qu’il ne me restait qu’un dernier effort à fournir, je le voyais venir au monde, là, entre mes cuisses fébriles et blanches, ce tout petit bout de vie, ce tout petit homme. Paul était près de nous, je luis souris mais il ne me vit pas. Il avait de nouveau glissé devant son visage crispé, l’objectif de son petit appareil noir et brillant. La sage femme me félicitait, elle déposa Maxime sur mon ventre pourtant encore si douloureux, mais le visage d’un ange fait oublier tout les maux. Je me demandais comment un être si beau, si fragile et fort à la fois, pouvait venir de moi. A cet instant, je pu enfin croiser le regard de Paul « Il est magnifique » ! lui dis-je. Le médecin était revenu pour vérifier mon état, puis la sage femme emmena notre petit ange aux yeux presque translucides pour lui donner son premier bain et aussi l’habiller. Mes yeux se refermaient doucement ; il était presque quatre heures ce matin là et je donnais la vie pour la deuxième fois. Paul était ému et contenait son émotion comme il pouvait. Il lui fallait rentrer dormir un peu et puis réaliser. Je devais moi aussi me reposer pour bientôt reprendre Maxime tout contre moi qu’il puisse se nourrir de tout mon amour et à mon sein puiser ce qui lui permettra de découvrir le monde et tout ce que sa vie aura à lui offrir…
Nos vies avaient quelques choses de plus ce jour là, quelque chose de plus à donner, à aimer. La naissance de Maxime faisait naître en moi encore un peu plus d’espoir et aussi tant de joie que les heures qui suivirent, même sans dormir, me firent réaliser que dans ce présent et dans tout ce que je vivais de cet instant là, se trouvait ce après quoi on court parfois toute une vie, le bonheur infini.

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Laura L.

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